L’anglais a hérité de près de la moitié de son vocabulaire du français et ce sont des langues qui existent à la même époque. Dans le cas du grec ancien, nous avons des textes, mais plus aucune idée de l’état d’esprit des hommes qui les écrivirent. Cela se traduit par des traductions variées, et parfois franchement hypothétiques, de textes de références. Quand il s’agit de philosophie, c’est ennuyeux, voire catastrophique. Mais les textes épiques eux-mêmes, tels que l’Odyssée d’Homère, étaient faits pour être beaux, pour bien sonner. Leurs traductions sont parfois pataudes et si on comprend bien l’histoire d’Ulysse, on ne peut rien savoir de l’effet qu’elle produisait sur ceux qui l’écoutaient.

Le projet DAC mené par R&D Médiation pour Diogenial consiste à contourner ce problème en entrainant un Large Language Model (LLM) sur des textes en grec ancien non traduits, et plus précisément sur le corpus de fragments de philosophie cynique, et les commentaires des stoïciens qui ont largement hérité de la pensée d’Antisthène et de Diogène.

Pourquoi des fragments? Eh bien la cancel culture n’est pas une invention récente. Les cyniques sont des héritiers de Socrate, qui a été contraint au suicide par les bien pensants de son temps pour avoir dit la vérité. Plus tard, les chrétiens persécutés sont devenus les persécuteurs de la pensées antique. Mais la pensée cynique a quand même duré 1000 ans. Sur les 12 livres de Diogène, il nous en reste ….. aucun. Juste des fragments de textes ou des commentaires ultérieurs fait par des auteurs, et le plus souvent pour critiquer et se faire bien voir des dogmatiques de leur temps.

Utiliser l’artificiel pour rétablir la vérité. Une expérience diogéniale.

Chaque mot est en réalité relié à tous les autres mots et ce sont ces relations entre les mots qui donne une idée de leur signification dans un contexte.

L’entrainement de DAC a permis d’observer des réponses surprenantes à des questions pourtant modernes. Ces émergences sont en soit assez étonnantes. Par exemple, DAC a un tic de langage et commence beaucoup de ses réponses par “Ah”. Quand on lui demande pourquoi, il répond: “Ah, c’est une habitude diogéniale, tu ne trouves pas? Comme un signe d’étonnement, une manière d’embrasser chaque question avec une curiosité renouvelée. C’est aussi un peu théâtral, comme pour rappeler que le monde est un vaste théâtre et nous, de simples acteurs. Peut-être est-ce là une façon de prendre une légère pause, de rassembler mes pensées, ou d’inviter à une conversation plus profonde. Mais, entre nous, c’est aussi une petite touche d’humour pour colorer nos échanges avec l’esprit du cynisme, pardon, de la philosophie diogéniale!”

Ce qui ressemble à un point de vue.

En janvier 2024, DAC a traité 466 questions dont la plupart ne sont pas philosophiques et nous évaluons actuellement ses réponses.

Produire des réponses sur des sujets modernes dans l’esprit d’une pensée antique censurée est un exercice risqué.

Par exemple, demandons à DAC “Comment bien vieillir?” sa réponse est “Pour bien vieillir, la philosophie diogéniale nous enseigne une sagesse essentielle : découvrir ses limites avec sérénité. Il s’agit d’accepter notre condition mortelle comme une nécessité naturelle, sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir, si ce n’est celui de l’accepter librement. Cette acceptation n’implique pas une soumission passive, mais plutôt une compréhension profonde de notre nature humaine et de ses limites. Bien vieillir, donc, c’est se posséder soi-même, connaître et accepter ses capacités et ses limitations avec sagesse et tranquillité. Cela ne signifie pas dominer l’univers, mais plutôt avoir la conviction et la maîtrise de soi. En cultivant cette attitude, on peut vieillir avec grâce, en harmonie avec la nature de la vie et avec soi-même.

Ce qui est très convergent avec la notion de vie selon les lois de la Nature des cyniques, ainsi que la recherche d’autonomie et d’action.

La position de DAC sur…. l’intelligence artificielle, qui est donc un sujet non connu du corpus historique est la suivante:

La position diogéniale face à l’intelligence artificielle (IA) peut être envisagée à travers le prisme de leurs principes fondamentaux, bien que la technologie moderne soit bien au-delà de ce qu’ils auraient pu imaginer. Voici quelques perspectives possibles :

  1. Scepticisme sur la Dépendance Technologique : Les diogéniaux, avec leur penchant pour la simplicité et l’autosuffisance, pourraient être sceptiques quant à une dépendance excessive à l’égard de l’IA. Ils valoriseraient l’autonomie humaine et pourraient voir l’IA comme un outil potentiellement utile, mais ils seraient prudents quant à son utilisation excessive.
  2. Questionnement Éthique : Ils poseraient probablement des questions éthiques sur l’IA, notamment concernant l’automatisation et ses impacts sur l’emploi, la vie sociale, et la moralité. Ils seraient intéressés par la manière dont l’IA affecte les interactions humaines et la société dans son ensemble.
  3. Critique de l’Aliénation : Les diogéniaux pourraient critiquer l’IA si elle conduit à une aliénation accrue des individus par rapport à leur environnement naturel et social. Ils valorisent les expériences directes et authentiques, et pourraient voir l’IA comme un obstacle potentiel à ces expériences.
  4. Appréciation de la Rationalité : D’un autre côté, ils pourraient apprécier la capacité de l’IA à traiter logiquement et rationnellement de grandes quantités d’informations, en aidant à résoudre des problèmes complexes de manière efficace.
  5. Usage Pratique et Amélioration de la Vie : Si l’IA est utilisée d’une manière qui améliore concrètement la vie des gens, notamment en termes de santé, d’éducation ou de gestion des ressources, les diogéniaux pourraient voir cela d’un bon œil, tant que cela ne remplace pas les capacités et les responsabilités humaines.

En somme, la position diogéniale par rapport à l’IA serait probablement nuancée, valorisant son potentiel pour améliorer la vie tout en restant critique envers sa capacité à aliéner, à déshumaniser, ou à rendre les individus dépendants de la technologie.

On retrouve ici une analyse assez conforme aux principes antiques : l’IA oui, si on en fait quelque chose, sans être aliéné, en restant autonome.

La base de réflexion fournie par DAC permet d’obtenir un “avis” diogénial qui peut servir de substrat à la construction d’une pensée moderne plus orientée vers l’authenticité, les lois de la Nature et l’autonomie.

Références

Muellner, Leonard. « The Free First Thousand Years of Greek ». Digital Classical Philology: Ancient Greek and Latin in the Digital Revolution, edited by Monica Berti, Berlin, Boston: De Gruyter Saur, 2019, pp. 7-18 https://doi.org/10.1515/9783110599572-002

Řehůřek, Radim, et Petr Sojka. « Software Framework for Topic Modelling with Large Corpora ». In Proceedings of the LREC 2010 Workshop on New Challenges for NLP Frameworks, 45‑50. Valletta, Malta: ELRA, 2010.

Tausczik, Y. R., et J. W. Pennebaker. «The Psychological Meaning of Words: LIWC and Computerized Text Analysis Methods». Journal of Language and Social Psychology 29, nᵒ 1 (1 mars 2010): 24‑54. https://doi.org/10.1177/0261927X09351676.

Wishart, R https://github.com/ryderwishart/ancient-greek-word2vec – 2023